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DESPERADOS : UN ROMAN-FEUILLETON A L'EAU DE CACTUS
30 mars 2006

La préhistoire. Ce qui se passait VRAIMENT derrière le toboggan.

tobogganIl fut un temps où je n'avais pas la face recouverte de boutons, où j'étais habillée avec goût et discernement par ma mère qui avait une prédilection pour les ensembles jupe-à-fleur-chemisier-à-col-brodé-chaussures-vernies-à-boucle, et avec ça très précoce intellectuellement. A l'âge de quatre ans, j'étais déjà en mesure de lire "Plume l'ourson des neiges" quand mes camarades se contentaient de gribouiller leur prénom en tirant la langue. Il est évident qu'une fille aussi pleine d'attraits ferait tomber les morveux des cours de maternelle comme des mouches, sans même le faire exprès. C'est d'ailleurs ce qui est arrivé.
  Mon premier prétendant s'appelait Lucian, venait de Roumanie, et si j'en crois les photos de classe que j'ai conservées, il ressemblait à un croisement entre un korrigan et la fée Clochette. Un visage mince, le menton en pointe, les yeux presque bridés...s'il n'avait pas été habillé d'infâmes joggings adidas rouge et jaune fluo, mais d'un genre de pagne de feuilles, on aurait pu sans problème le recruter pour jouer un lutin des bois au spectacle de fin d'année.
Mais ce genre de choses m'importait alors fort peu, dans la mesure où je n'avais encore jamais remarqué son existence. Jusqu'au jour où alors que j'étais en train de scruter pensivement l'aquarium de la classe il s'est approché de moi et m'a murmuré timidement: "Je suis amoureux de toi."
la déclaration d'amour la plus simple, la plus jolie, la plus sincère, et surtout le première et la seule qu'on m'ait jamais faite.....mais à l'époque, tout ça me dépassait totalement.
Et pour cause.
J'ignorais tout simplement ce qu'il avait diable pu vouloir dire.
A l'âge de quatre ans, je me suis interrogée -très rapidement- sur le sens de l'expression "être amoureux". Mais, n'arrivant à aucune conclusion valable, j'ai assez vite classé l'affaire.
Ma première leçon de vocabulaire pratique n'est intervenue que plus tard, grâce à Violaine et Nicolas, deux mioches de ma classe qui semblaient correspondre à la définition...en tout cas c'est ce qu'ils prétendaient. (D'ailleurs, c'était visiblement Violaine qui portait la culotte dans l'affaire...)
Et cet état abstrait -amoureux- se manifestait de la manière la plus mystérieuse possible. Une fois par jour en moyenne, les deux tourtereaux débutants se livraient à une activité apparemment indispensable à la cohésion de leur couple.
Ils faisaient d'abord le tour de leurs connaissances dans la cour de récré. En prenant soin de n'oublier personne.
Suite à quoi, ils annonçaient à la cantonnade qu'ils allaient "derrière le toboggan". a la question "pour quoi faire?" posée par un naïf ou un étourdi, voilà ce qu'ils répondaient:
-On se fait des bisous d'amour.
D'après le peu que j'ai pu en voir, cette activité était assez éloignée du roulage de pelles traditionnel de nos campagnes. juchée en haut du toboggan, il m'arrivait d'assister à leurs ébats, dont je vous livre en exclusivité le secret:
le but était de se rouler dessus, de tortiller les jambes dans tous les sens, et de dévorer les joues du partenaire de baisers baveux tout en lui tirant sauvagement les cheveux (à ce petit jeu, Violaine qui avait de longues nattes brunes était nettement désavantagée...)
le tout, et c'est là le plus bizarre, dans le plus complet silence.

J'étais un peu perplexe. Ces jeux puérils n'éveillaient pas en moi le moindre intérêt, j'avais déjà beaucoup trop de choses essentielles auxquelles me consacrer:
-finir "Plume le petit ours blanc" AVANT ma meilleure amie Elodie
-faire un dessin pour mon père, qui était alors pour moi l'homme le plus attractif du monde, rien à voir avec ces morveux qui constituaient mon entourage
-terminer mes expériences solitaires sur la chute des cailloux dans les grilles des égouts.
Vaste programme.
Et tout ça me laissait à peine le temps d'observer de temps à autre (toujours dans une démarche purement scientifique) Nicolas et Violaine à l'oeuvre.

Quant au malheureux Lucian, il était de toute évidence superflu. Je me souviens qu'il a déménagé à la fin de l'année, et que ma mère a insisté pour que j'aille lui dire au revoir. Je me suis exécutée poliment, en pensant encore à autre chose. Ma première rupture n'en a pas été une: faut-il en déduire qu'elle a conditionnné la suite de mes histoires de coeur?

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